Para Doxa

" (...) Feignant l’indifférence, Ambre ne pouvait détacher son regard du hublot qui lui renvoyait le reflet de l’indécente beauté d’une mystérieuse inconnue. Ses yeux, posés sur elle, apprivoisaient le moindre de ses gestes. Elle s’attarda sur ses mains ; à son annulaire, une alliance discrète incrustée de diamants brisait d’utopiques espérances. À l’index, une bague sertie d’un saphir tape-à-l’œil concordait avec son tailleur confectionné sur mesure. Autant de signes qui la persuadèrent qu’elles n’auraient jamais pu se rencontrer ailleurs. Elle tournait les pages d’une revue avec une extrême délicatesse, frôlant le papier glacé du bout des doigts, tandis que son esprit n’y prêtait aucune attention. Elle était absente. Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ? À l’extrémité de ses longues jambes, un pied se balançait, victime d’une impatience. Ambre surprit un bref coup d’œil dans sa direction. Elle se réjouit de ce petit rien et se trouva ridicule. (...) "

" (...) Sous de grands airs, Madame pouffa et entreprit d’ouvrir les containers avec la dextérité d’un déménageur breton. Des résidents vinrent l’aider à déballer les cartons. Elle descendit de son perchoir et en déposa un aux pieds d’Ambre. Amusée, celle-ci l’ouvrit.
— Des livres ?
— Oui, des livres, des fournitures scolaires et des vêtements. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir construit une école et une bibliothèque si vous n’avez pas de livres ! Elle secoua la tête : mon mari peut être tellement incohérent par moments !
Ambre la remercia, le geste était touchant. L’attention d’Helena inattendue et généreuse. Elle avait, dans un secret total, organisé une collecte. Juste un petit rien. Au début un peu pour plaire à Ambre, mais pas seulement. Très vite, cela lui avait paru vital de les aider, elle s’était sentie exister. Autour d’elles, un attroupement s’était formé. Un groupe de jeunes filles chantait et dansait. Les enfants avaient de grands yeux brillants d’émerveillement. (…) "

" (...) Ambre vint s’agenouiller au bord de l’eau. Dans son absence, elle avait gardé machinalement le couteau serré dans sa main. Elle le jeta au loin, le bruit sourd de son contact avec l’eau fit taire le chant des grillons et provoqua une vague de frissons qui se diffusa sur son épiderme. Elle ne parlait toujours pas. Helena regardait cette femme atypique et énigmatique comme pour la première fois. Les événements s’étaient enchaînés si vite, qu’ils avaient donné un rythme effréné à leur relation, jusqu’à les précipiter au bord de ce lac. C’était donc là, le carrefour de sa vie, cet ailleurs prometteur.  (…)