Deux mamans et un bébé

" (…) La descente est lente, trop lente. Les sages-femmes placent un grand miroir à mes pieds pour que je retrouve confiance. J’aperçois, à l'intérieur de moi, un bout de la chevelure noire de mon bébé et ça me met une claque. Je sais enfin pourquoi je pousse, à quoi sert cet effort inhumain, et je retrouve confiance.
Le visage crispé de ma Douce se reflète dans le miroir. Je suis en train de la regarder, quand ma petite arrive enfin. Le haut de son crâne apparaît, puis sa tête jusqu’au cou. Les épaules se bloquent avant que le corps ne se libère, dans une ultime poussée. Je me redresse pour la prendre dans mes bras. Tout est flou autour de moi. Je ne sais plus si je pleure d’émotion ou de fatigue.
Je crois d'abord que ma fille est noire de peau et, dans mon égarement, j’ai le temps de penser : « Ils nous ont donné un géniteur black ! Comment allons-nous faire ? »
Elle est enfin sur mon ventre. Elle passe du noir au violet, puis finalement au rouge. Sa peau est blanche mais son teint très mat.
Ma compagne est aussi hébétée que moi. L’infirmière devine son émotion et lui demande doucement : « Voulez-vous couper le cordon ? »
Je la sens hésiter. Le symbole est si fort qu’il nous intimide toutes les deux. Mais elle le rompt. (…)"

" (…) Et si je suis bien placée pour savoir que l’homosexualité peut être un obstacle à l’épanouissement dans une société à dominante hétérosexuelle, je sais aussi qu’elle est source de bien-être quand elle est assumée.
Alors, pourquoi ne pas considérer que la famille, elle aussi, est une affaire de choix ? Bien sûr, deux hommes ou deux femmes sont incapables de se reproduire, mais ils ont la capacité d’aimer, d’éduquer, et de respecter un enfant. Tout comme les couples hétéros stériles qui adoptent et qui ne peuvent pas non plus, biologiquement, avoir d’enfants !
Tout désir d’enfant contient une part d’égoïsme. Nous faisons un petit pour lui, pour le connaître et l’aimer, mais aussi pour nous satisfaire de son existence et de sa présence à nos côtés. Pourquoi y aurait-il plus d’égoïsme chez les homosexuels que chez les hétérosexuels ? Est-ce l’engagement qui compte ou bien la simple différence sexuelle ?
Ce n’est pas la sexualité des adultes hétéros qui fait d’eux de bons ou de mauvais parents, personne n’affirme une chose pareille, alors, pourquoi dit-on cela des gays et des lesbiennes ? (…) "

" (…) Nous sommes deux mamans, à parts égales, et nous ne pouvons accepter que les autres, nos proches en particulier, ne partagent pas cet avis. Nous voulons que notre bébé naisse dans un environnement serein, où chacun connaîtra son rôle et l’accueillera dans la joie.
Dans notre esprit, Christiane sera la grand-mère de l’enfant que je porterai, tout autant que ma propre mère, mais nous ne pouvons être les seules à en être persuadées. Il faut qu’elle adhère à notre projet.
Les repas familiaux se transforment en champs de bataille, où chacun exprime ses sentiments et ses peurs. Mon beau-père pose des questions, s’informe et cherche à comprendre. Nous respectons la curiosité de chacun et l’encourageons. Nous sommes bientôt rompues à l’exercice et nous avons réponse à tout.
— Vous avez vraiment besoin de faire comme les autres en ayant un enfant ? (…)"

(…) N’allez pas imaginer toutefois un ouvrage sociologique comme le titre pourrait l’indiquer. Il s’agit principalement du récit d’une expérience, d’un parcours de vie et c’est justement en raison de l’implication même de l’auteur dans cette tranche de vie qui rend son livre si agréable à lire. Contrairement à d’autres livres sur le sujet parfois trop détachés de la réalité, Deux mamans et un bébé reste toujours raccroché à la vie, aux sentiments et nous les fait partager sans chercher à les imposer comme une seule vérité.